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I. LE GRAND-DUCHÉ FAIT LES YEUX DOUX AUX HIGH NET WORTH INDIVIDUALS

Le Grand-Duché du Luxembourg a pris de nombreuses mesures, au cours des dernières années, afin d’attirer des particuliers fortunés (High Net Worth Individuals) sur son territoire.

Un projet de loi (6891) du 14 octobre 2015, instaurant un step-up fiscal en cas de transfert de résidence fiscale de personnes physiques vers le Luxembourg, vient ajouter une pierre à l’édifice. Cette mesure pourrait inciter de nombreux habitants du Royaume à s’expatrier au Grand-Duché du Luxembourg, dans l’optique de réaliser une plus-value sur actions exonérée d’impôt (tant en Belgique qu’au Luxembourg). Petite explication.

II. TAXATION DES PLUS-VALUES SUR ACTIONS EN BELGIQUE

Les habitants du Royaume bénéficient en principe d’une exonération des plus-values sur actions, lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé (art. 90,9°, 1er tiret du CIR). L’application de cette exonération ne toutefois va pas toujours de soi. Il en va notamment ainsi en cas de cession, par une personne physique belge, des actions de sa société opérationnelle/familiale à une société holding qu’elle contrôle (plus-value dite « interne »), ou d’une société dite « de liquidités ».

L’Administration a en effet tendance à taxer ce type de plus-values au titre de revenus divers au taux de 33%, au motif que ces opérations excèderaient la sphère de la gestion normale du patrimoine privé.

III. OPPORTUNITE DU TRANSFERT DE DOMICILE D’HABITANTS DU ROYAUME VERS LE GRAND-DUCHE

Pour conjurer ce risque fiscal, l’actionnaire belge pourrait envisager de s’expatrier vers le Luxembourg avant de réaliser la plus-value sur actions.

Contrairement à d’autres pays, la Belgique ne prévoit pas d’exit tax en cas d’émigration de personnes physiques belges. Le transfert du domicile fiscal emporte que l’actionnaire quitte définitivement l’orbite fiscale belge. Par conséquent, la plus-value sur actions réalisée après l’exil sera uniquement imposable au Luxembourg (et pas en Belgique).

Grâce au step up, l’habitant du Royaume pourra bénéficier au Luxembourg d’une réévaluation du prix d’acquisition de ses participations substantielles (>10% du capital) au jour de son transfert de domicile vers le Grand-Duché (L’objectif du législateur luxembourgeois, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs, consiste à « éviter la double imposition de la plus-value de cession dans la mesure où celle-ci a été générée avant la date de l’établissement de la résidence fiscale au Luxembourg (…). De manière unilatérale, le Luxembourg renonce ainsi à son droit d’imposer la partie de la plus-value de cession accumulée dans l’Etat de sortie ».). Ainsi, la plus-value sur participation substantielle, imposable en droit fiscal luxembourgeois, se calculera sur la base de la différence entre le prix de vente et la valeur estimée de réalisation de ces titres (soit la valeur de marché) au moment du transfert de résidence fiscale. Soit, en cas de cession de la participation immédiatement après le transfert du domicile, un montant infime voire nul.

IV. VENTE D’UNE SOCIETE FAMILIALE A UNE SOPARFI

Voici un chef de famille belge qui a constitué sa société d’exploitation belge il y a 30 ans avec le capital minimal. Celle-ci a accumulé de nombreuses réserves au fil des années, de sorte que sa valeur de marché peut être estimée à 10 millions d’euros. Il est soucieux de transférer son entreprise à ses enfants dans le cadre d’une planification successorale. A cet effet, il peut constituer une société holding (par exemple, une SOPARFI luxembourgeoise) à laquelle il transfèrera les actions de la société belge d’exploitation à valeur de marché (10 millions d’euros), et donner ensuite les actions de la holding à ses enfants (en se réservant l’usufruit). Les réserves de la société opérationnelle belge pourront ensuite être rapatriées en direction du chef de famille (ou de ses enfants) sous différentes formes fort attrayantes sur le plan fiscal. Cette structure (dénommée dans le jargon « plus-value interne ») est le pain quotidien des praticiens de la fiscalité.

Si le pater familias réalise l’opération aujourd’hui, il risque d’être taxé à hauteur de la plus-value (10 millions d’euros) au taux de 33%. En revanche, s’il transfère son domicile fiscal vers le Grand-Duché à la fin de l’année 2015 (après l’adoption du projet de loi luxembourgeois) et vend en janvier 2016 sa société opérationnelle à une holding, la plus-value pourrait échapper à toute imposition, tant en Belgique (puisqu’il n’y est plus résident fiscal) qu’au Luxembourg (grâce au step up).

V. TAX SHIFT : TAXATION DES PLUS-VALUES SPECULATIVES. QUID DU LUXEMBOURG ?

Dans le cadre du tax shift, le gouvernement belge entend taxer à l’impôt des personnes physiques, à partir du 1er janvier 2016, les plus-values dites « spéculatives » (réalisées <6 mois) sur la cession d’actions d’entreprises cotées en Bourse. Un transfert de résidence vers le Luxembourg ne permettrait pas d’éviter pareille taxation. En effet, le Grand-Duché connaît un régime similaire ; en outre, le step up ne porte pas sur les titres d’actions cotées (mais uniquement sur les participations substantielles).

Denis-Emmanuel Philippe
Avocat-associé Bloom Law
Maître de Conférences à l’Université de Liège